Recensioni / Fulco R. - Greco T., L’Europa di Simone Weil. Filosofia e nuove istituzioni

Le volume contient les interventions de la Conférence internationale Simone Weil. Philosophie et nouvelles institutions pour l'Europe, organisée à Pise, les 11 et 12 avril 2018, par les éditeurs, Rita Fulco pour la Scuola Normale Superiore et Tommaso Greco pour l'Université de Pise.

Comme les rédacteurs rappellent, dans leur note introductive, le point de départ "était la phrase que Weil écrivait en conclusion de La personne et le sacré: " Au-dessus des institutions conçues pour protéger le droit, le peuple, les libertés démocratiques, nous devons en inventer d'autres destinés à discerner et à abolir tout ce qui écrase les âmes dans la vie contemporaine face à l'injustice, au mensonge et à la laideur. Il est nécessaire de les inventer car ils sont inconnus et il est impossible de douter qu’ils sont indispensables " (11). En partant de cette invitation, ils ont donc choisi d'interroger les invités sur le présent de l'Europe, sur la contemporanéité, afin de comprendre «de quel type d'institutions peuvent-ils être? Quelle relation entre spiritualité, éthique et politique devrait y être articulée et de quelle manière? "(11). Dans cette question si urgente et si dramatique, à certains égards, les éditeurs estiment que "la pensée de Simone Weil, en particulier celle des dernières années de la vie, peut constituer un véritable guide" (12), une boussole dans les "rues imperméables" de l'Europe contemporaine.
Dans sa Préface, Roberto Esposito souligne à quel point la pensée de Simone Weil est nécessaire pour analyser en profondeur les racines d'une crise qui submerge l'idée même de l'Europe de nos jours. Le regard excentrique que Weil jette sur son présent peut nous apprendre beaucoup de choses sur la contemporanéité, car il tente de séparer complètement l’idée de l’avenir de celle de la prédominance de la force, en se rappelant que "la défaite, avec toutes les tragédies qu’elle entraîne, a un pouvoir constituant qui ne parvient parfois pas à gagner la victoire "(8). C’est précisément «l’extranéité aux paradigmes qui circulent dans les environnements intellectuels de l’époque» qui constitue la véritable force actuelle de Weil, illustrée par la conviction que «seuls, à partir des devoirs envers tout être humain, nous entrons dans un horizon différent, régi par autre que la justice».
Introduit le volume Giancarlo Gaeta, avec Tout devrait être remis en question, presque une introduction méthodologique à la série d’autres interventions. Il rappelle la nécessité d’une "conversion authentique et radicale" à la pensée de Simone Weil, car "nous devons apprendre à penser autrement”, pour arriver à une véritable confrontation et pour tirer quelques fruits pour le présent, sinon on reste inévitablement à une considération plus ou moins admirée de son génie"(20-21). Gaeta évoque à juste titre la mystique, au sens de de Certeau, pour mieux comprendre la conception particulière de la philosophie en tant que "science expérimentale", pouvant ainsi apporter une contribution dans le contexte de la crise de l'idée actuelle de l'Europe. À partir de ce présupposé herméneutique, Gaeta retrace le fil des différentes interventions du volume, en soulignant la cohérence de l'interrogation et la capacité de éclairer les différentes facettes du problème. L’espoir de Gaeta est d’ouvrir la voie à un véritable changement, «nous ne nous en sortirons certainement pas en faisant appel de manière générique à un renouveau politique […] Nous avons besoin d'une nouvelle conception de la politique capable de donner corps à la démocratie, c'est-à-dire de reconnaître de manière effective que la satisfaction des besoins physiques et moraux des individus constitue son sens premier. Simone Weil a tenté d'ouvrir la voie dans cette direction en se concentrant sur une Europe radicalement renouvelée”(26).
Le volume est organisé en deux parties, la première est consacrée à Une constitutionnalisation de la vie sociale, et la seconde à Un projet de justice, dans laquelle les essais des différents érudits rendent compte de l'énorme richesse des questions que le philosophe avait résolues faire face dans les derniers mois de sa vie à Londres.
Rita Fulco ouvre la première partie par un essai intitulé Pour une Europe médiatrice: philosophie, institutions, migrations, qui décrit clairement le contexte de référence actuel et la nécessité, aujourd'hui plus que jamais, d'aborder Simone Weil comme aide à la pensée.
Le concept weilien qui se prête le mieux à un remaniement fructueux est celui de metaxu qui, comme le souligne Fulco, "selon la traduction weilienne," pont ", me semble indiquer une relation possible entre la philosophie et les institutions conçues à l'horizon d'une tension productive" (33). Le contexte contemporain est le théâtre d’une crise profonde, interne et externe: les classes sociales les plus pauvres et les autres migrants. Les différentes subjectivités du besoin ne sont pas écoutées, mais diabolisées, au nom d’une exclusion immunisante pour l’Europe. Le malheur d’aujourd’hui est illustré par la suppression de l’humain et sa réduction à l’invisibilité, grâce à la perte de l’attention portée à la singularité, qui est le seul moyen d’appréhender la vulnérabilité caractéristique de l’humanité (44). Le véritable défi pour l’Europe est de faire face, à la fois, aux fronts de la crise interne et externe, afin de devenir un pont entre l’Amérique et l’Est. Fulco formule trois perspectives différentes: la première consiste à ramener la perspective spirituelle dans le débat politique, une position laïque et "contre-naturelle", capable de "réduire sa volonté de puissance" (50). La deuxième perspective est celle qui considère l’Europe comme un médiateur entre riches et pauvres, étant donné que cette question est impliquée dans celle des migrants. La dernière perspective est celle qui concerne la fonction de la philosophie vis-à-vis des institutions et la capacité de se souvenir que la démocratie n’est pas seulement un pouvoir constitué, mais un pouvoir constituant et institutionnel, et pour cette raison “est dicté par les pôles complémentaires de la légalité et de la légitimité, par la tension entre l’exemple du droit et celui de la justice qui permet seule aux institutions d’essayer de devenir toujours plus justes "(50). La philosophie peut donc se garder ouverte, en tension, étant "elle-même un pont" (ibid.). Parce que, comme l'écrit Fulco en conclusion: "si l'Europe perd cette tension, elle sera elle-même perdue, avec le legein de son logos, qui porte cette tension “(51).
Tommaso Greco, l’autre curateur du volume, dans sa contribution: "Distinguer la vraie grandeur de la fausse". Sur la légitimité des institutions chez Simone Weil, relit les derniers écrits londoniens constituent un laboratoire pour interroger la question de la légitimité, qui est à la base de celle de la souveraineté. La position de Greco est claire: il déclare "je dirais même qu'il s'agit du texte politico-philosophique le plus profond et le plus important de la deuxième période d'après-guerre concernant le thème de la légitimité du pouvoir et des institutions" (56). Pour cette raison, nous devons toujours faire face à la pensée weilienne, qui est toujours plus radicale et extrême que de simples solutions formelles. Ainsi, dans le cas de la légitimité, Weil doit la faire découler de la justice.
Selon Greco, les derniers écrits de Weil développent une comparaison intéressante avec la question de la légitimité et de la liberté qui lui est liée. Weil souligne le besoin de règles stables et générales, car cela garantira que le respect des règles sera complet et conscient. Si pour Weil doit être le consentement à créer la base de l'obéissance et non la peur du châtiment, cela provient toutefois de la reconnaissance de la nature égale de tous les êtres. "Nous parlons d'égalité, ce que Simone Weil a encore une fois appris de Rousseau et d'Alain à considérer comme une - ou peut-être la - valeur fondamentale que le système juridique doit poursuivre" (62).
La question du déracinement implique également celle de la légitimité, tout en notant que "Simone Weil ne semble pas distinguer les différents éléments de l'État [...], elle considère l'État dans son ensemble, comme un phénomène monolithique" (54) qui, par sa simple présence, nuit à la vie et à la liberté. Pour cette raison, "l'État est peut-être le symbole de l'illégitimité" (66) et, suivant ce raisonnement, nous comprenons pourquoi Weil l’oppose à la patrie, en introduisant une tension qui nous permet de le vaincre en vue d'une patrie légitime. "Redécouvrir la patrie, triompher de l'État", en abandonnant la centralisation, typique du pouvoir de l’état au nom de petites autonomies, organisations largement répandues.
Quels sont alors les moyens de redécouvrir la légitimité? Tout d'abord, la centralité de la Constitution, que ”doit être comprise comme un objet de loyauté de la part du peuple et des dirigeants" (69). Un engagement où chacun s’engage à respecter sa tâche, car "il s’agit plus de la façon dont nous gouvernons plutôt que de celui qui gouverne". De là découle la nécessité de lier le pouvoir à la responsabilité, en obligeant les puissants à payer pour leurs erreurs, ainsi que la grande fonction reconnue à la justice, avec de nouveaux magistrats, formés de manière adéquate du point de vue culturel, capables d'administrer les fonctions de justice. la justice et pas seulement d'appliquer des sanctions. Pour Weil, le problème est avant tout "relatif à son contrôle, qui est absolument essentiel aux processus de légitimation" (71). En conclusion, Greco ose définir cette notion de légitimité si difficile, liée à l’engagement indispensable du gouverneur à la recherche de la justice et du bien public, en se référant à la source éternelle de toute légitimité, une transcendance indescriptible qui a à voir avec une obligation sacrée envers l'homme. De manière générale, Weil parle de légitimité en tant que consentement libre des autorités auquel un peuple est soumis.
L'essai de Robert Chenavier, Pour un enracinement non-identitaire, s'oppose à l'utilisation idéologique de la pensée de Weil selon laquelle, ces derniers temps, a détruit la notion d'enracinement. Chenavier se consacre à une analyse précise des points fondamentaux de ce concept complexe, en expliquant sa nature radicalement non identitaire, en prenant soin de mettre en exergue les points les plus ambigus, ce qui pourrait générer des malentendus.
La difficulté provient précisément de la caractéristique typique de la pensée weilienne, la transposition, telle que définie par Chenavier, c’est-à-dire la capacité de "lire sur des plans composés et se chevauchant" (84). Seulement cette approche nous permet d’ouvrir la perspective, de construire des metaxus, au lieu de donner des identités fictives. Après tout, c’est le «renforcement de l’intermédiaire» qui «nous enseigne à passer d’un plan à l’autre en les mettant en relation» (84). Faisant dialoguer Simone Weil avec Roberto Esposito et François Jullien, parmi d’autres, l'auteur définit la pensée de Weil comme "une" critique de l'exaltation de la racine de l'identité "qui isole et aboutit à ce que Roberto Esposito appelle" l'immunité ": être identique à elle-même, qui" supprime l'altérité de la communauté "(86). Une critique de l'identité qui s'accompagne toujours d’une condamnation du déracinement et de ses sources, qui ne peut être réduite à un instrument idéologique, car - comme précise Chenavier en conclusion - "sa philosophie de l'enracinement ne se réduit pas à défense du primat de l'appartenance à une identité, ni à un universalisme vide qui conduirait à une complète indifférence à l'égard des traditions des peuples "(86).
Emilia Bea, dans sa contribution, Alain et Simone Weil. Citoyen contre l’esprit de parti, il revient aux sources de la passion politique de Weil, traçant dans le maître Alain des thèmes qui caractériseront sa pensée même à l’âge adulte. L'enseignement le plus important que Weil tire du maître Alain est la nécessité de participer en tant que citoyen attentif à la vie politique, c'est-à-dire "sous une forme libre et réfléchie [...] sans renoncer à un jugement critique et sans cesser de penser" (87). La plus grande force est précisément le pouvoir de penser et de "dire non" et, dans ce sens, on peut lire toutes les invitations d'Alain et, plus tard, de Weil à se méfier du système partitocratique, des organisations communautaires où les gens se détournent ou abandonnent cette capacité de penser au nom de la cohabitation, la commodité ou le profit. Bea tente également de comprendre l'utilisation de la pensée weilienne dans le contexte contemporain, en capturant les aspects fidèles ou trompeurs de ces interprétations. L’engagement d’Alain, vis-à-vis de son élève, était de pouvoir apprendre à utiliser la philosophie comme un outil essentiel pour aiguiser son jugement, pour rester toujours vigilant, sous prétexte de toujours en faire des instruments de justice. Il ne fait aucun doute que le trait particulier de Weil est la perspective transcendante, pour laquelle "la démocratie elle-même est un moyen de bien, pas un bien en soi" (90). Cependant, en critiquant la propagande en tant que force opposée à la culture, nous pouvons encore tracer le signe de ce qu'Alain lui a appris à pratiquer. L’éducation assume une fonction fondamentale car elle est "formation de l’attention", en harmonie avec le sens particulier du matérialisme weilien qui implique "une exposition sans réserve à la réalité et un travail critique dénonçant tous des idées, des croyances, des doctrines et des idéologies qui, au lieu de révéler, cachent la réalité “(97). Bea souligne aussi la cohérence substantielle du travail de Weil, qui voit dans le tournant mystique et dans les formulations des écrits londoniens une extension et une consolidation de cette direction, dans le sens d'un investissement personnel, attentif et ouvert aux autres.
La contribution de Filippo Pizzolato, La capacité de transformation de l'enfant et la démocratie par en-dessous, explore et analyse une des questions fondamentales des derniers écrits, à savoir la construction d'une véritable alternative au concept de souveraineté détachée de la dynamique de la force. En ce sens opère la proposition de Weil d’une capacité génératrice de consensus partant de ce qui est "petit", de ce qui ne semble pas avoir la force de s’imposer, mais travaille de l’intérieur pour créer le changement. Ce qui est petit produit du changement quand il y a quelqu'un capable d'accepter le "cri de la justice que, inexprimé, le malheureux émet" (110); la présence d'une personne capable d'attention est donc nécessaire, quelqu’un qui a la volonté de se dépouiller de sa présence égocentrique pour laisser les autres être dans leur fragilité, accueillant leurs besoins, dans une perspective de justice, même avant la loi. La "primauté du petit" transforme la fragilité en valeur, renversant complètement les relations coutumières dans le monde, qui, nous rappelle souvent Weil, sont dominées par la pesanteur. Sur cette voie, on ne procède évidemment que de manière globale, c'est-à-dire sans s'arrêter à la simple reformulation d'un droit. Pour ce qui concerne le droit et sa fonction, écrit Pizzolato, "ceux qui se déplacent avec les outils et les catégories du droit ressentent l’embarras d’être dans un extraterrestre. Le droit pour le Weil a son espace dans un terrain d'entente. À ce niveau intermédiaire, il a sa propre utilité "(111). Sur la fonction du droit les considérations de Pizzolato sont très intéressantes, parce qu’il a la capacité d’être ouvertement sollicité par le besoin de justice de Weil. Il essaie donc de se demander si et dans quelles conditions une société, comme celle préconisée par Weil, est réalisable dans un contexte démocratique. Pizzolato estime que "il existe une vision de la démocratie non comme un ensemble de pouvoirs institutionnels, mais, pour reprendre les mots de Dewey, comme une forme de vie, qui présuppose une large participation et une éducation appropriée" (116). Un projet unitaire implique donc "la redécouverte de la valeur démocratique de l'engagement civique" et ne se limite pas à "un restyling institutionnel, mais valorise la marginalité, reconnaît et renforce l'action de ce qui est petit" (117).

La deuxième partie du volume, Un projet de justice, rassemble des contributions qui, selon des points de vue très différents, sont axées sur le besoin de justice qui constitue le fondement des écrits de Weil à Londres.
La première contribution de Frédéric Worms, Simone Weil. Justice entre nations, cherche en premier lieu à résoudre les difficultés liées à la question de la justice entre nations. Dans quel sens en parler? et surtout, Simone Weil a-t-elle réussi? Worms demande donc "comment ce problème et cette solution sont-ils au cœur de son travail, sans lequel ils ne peuvent être ni pensés ni compris?" (122). Worms précise très clairement les limites et les ambiguïtés contenues dans la notion d'enracinement qui a favorisé, dans le présent, l'appropriation par le droit qu'il aurait dû désavouer. L'une des difficultés fondamentales est la présence d'une âme particulière de la pensée weilienne, c'est-à-dire le "contact du surnaturel et du naturel dans notre expérience" (124). Il n’est pas possible de lire correctement la notion d’enracinement, effectivement, qu’en s’ouvrant constamment à la perspective surnaturelle, l’enracinement est une valeur "seulement animé par une tension: la justice, entre les nations (et, d’autre part, Simone Weil dira plus tard: nous avons nos racines dans ciel) "(126). Cette tension risque toutefois de créer précisément ces malentendus qui ont pesés sur son héritage; et cette erreur, selon Worms, nous pouvons imputer à Weil, qui n'a pas indiquée une voie, créant un fossé entre les nations enracinées et déracinées. La position problématique de Weil vis-à-vis du judaïsme, selon Worms, est exemplaire à cet égard; elle découle d’une évaluation ambiguë: Weil lit le judaïsme parfois comme une radicalisation extrême d’une nation qui se veut unique, et donc hyper-racinée; à d'autres moments, comme un élément de déracinement de toutes les nations. Une contradiction théorique qui ne peut être résolue, mais surmontée en se forçant à aller au-delà de Weil avec ses instruments. Worms propose de parler des nations de manière relationnelle: entre nations, mais aussi en leur sein. Si l'on veut ensuite acquérir un critère, celui-ci pourrait se retrouver sous deux types humains: "le critique [...] au sens où Michel Walzer parlait du prophète en tant que critique social. [...] Mais aussi [...] le héros et l'héroïne, l'homme ou la femme qui convient parmi les nations, c'est-à-dire surtout dans son pays, contre ses propres dérives "(132).

L'analyse de Maria Concetta Sala, Discernement et éveil à la lumière de la philosophie de Simone Weil, part des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, où il y a déjà clairement formulés des questions indispensables pour repenser notre contemporain, «marqué par de fortes pressions désintégrantes à l'intérieur de la zone euro”(133). La méthode suggérée par Sala ,pour communiquer la vérité de certaines notions weiliennes, est celle de "transposer" (138), c'est-à-dire de se placer dans la vérité du texte pour le communiquer, comme le suggère Weil elle-même. "Passer par chaque expérience du corps, du mental et de l'âme, par exemple vivre concrètement comme elle le faisait en tant qu'ouvrière et attendre que le cœur de la vérité de cette condition le saisisse de l'extérieur" (138-139). La leçon fondamentale est précisément celle d'une expérience nécessaire «d'une attention créatrice qui présuppose une formation pour se retirer de soi placé à ce qui est autre que lui-même, c’est-à-dire une véritable pratique de déconcentration »(139). Ce type de philosophie fondée sur la pratique de soi est lu par l'auteur sur la base de l'interprétation de la pensée de différence, soulignant l'harmonie profonde dans le type de regard qu'elle peut jeter sur le monde. Ce qui émerge est la capacité d'améliorer le social en tant que domaine d'altérité et de relation. La proposition weilienne repose sur un changement de perspective, nécessaire en termes de symbolique qui structure notre lecture du monde, comme le démontre également le Projet pour la formation, même si "la tendresse maternelle des infirmières" (146), à laquelle l'auteur fait référence, il n’est pas immédiatement lisible comme faisant référence à un genre, mais à une attitude. L'auteur souhaite de "faire appel aux portes que la pensée esthétique, politique et spirituelle de Simone Weil ouvre pour susciter un nouveau sens de notre vie, de notre vie et de notre coexistence" (150), sachant toujours qu'il ne s'agit pas de «recettes [...] mais d'une expérience spirituelle singulière qui devient un monde, descend, se replie» (150).
Domenico Canciani dans sa contribution, "Germes de grandes choses ...". Réflexions sur les écrits londoniens, analyse la question fondamentale des derniers écrits, c’est-à-dire la nécessité de réfléchir sur l'écriture d'un monde différent, totalement réformé. Ce que Weil veut c'est une "nouvelle civilisation", “nouvelle" si comparée à l'effrayant chaos qui s'est soldé par un cauchemar. En tout cas, ancien dans son esprit. Écrire est donc le moyen de penser à la nécessité sans détourner le regard de la réalité. Les circonstances l’empêche de participer directement au malheur de la guerre et Weil, précisément, adhère à la nécessité et écrit, ne pouvant pas faire autre chose, un ouvrage d’une extrême importance, L’Enracinement, que Canciani compare à la République de Platon, s’accordant ainsi avec Chenavier dans le jugement. La guerre est la preuve de l’échec total de la civilisation occidentale et c’est pourquoi il est de plus en plus nécessaire de renverser le modèle, en plaçant la justice au centre, mais surtout penser un homme transformé, capable de s’inspirer d’une forme de transcendance laïque, que l’enracine au-delà de la réalité immédiate. Cette transcendance qui, sans surprise, n'a pas de nom, "afin d'empêcher la reconnaissance d'une inspiration spirituelle spécifique peut ouvrir la voie à l'exclusion des non-croyants ou placer la religion majoritaire d'un pays dans une position hégémonique" (168). Le respect de la diversité de l'autre devient la garantie de notre tension vers la justice. Pour cette raison, Weil insiste sans cesse sur la nécessité de droits, d'institutions et, surtout, que ceux qui les appliquent doit avoir comme source d'inspiration première une justice qui n'a pas de nom, et qui ne « ne peut être saisie et formuler une fois pour toutes "(170). Wanda Tommasi poursuit la réflexion sur la centralité du thème justice avec Justice sans nom ni forme. Itinéraire mystico-politique, dans lequel souligne que la proposition de Weil doit être comprise comme un engagement de l'individu avant tout. Le fait que Weil "n'ait donné aucune indication sur la nature et le caractère de ces institutions supérieures" (173) n'est pas dû à une mort prématurée, mais à une volonté précise du philosophe. Tommasi s'éloigne ainsi de l'interprétation de Canciani, parce que "seul l'individu en est capable, pas une institution" et, en ce sens, "seul le mysticisme est capable" (174). Le mysticisme est le seul moyen possible de soustraire l’exigence de justice de fausses interprétations et, dans ce sens, il n’est agi que par des "individus qui ont expérimenté un contact direct avec le surnaturel" (175); en fait, ainsi, ils sont capables de comprendre le cri de l'infortuné. Tommasi revient à la critique de la notion de droit, qui "appartient à l'individu et tend à se séparer" (180), en faveur de l'obligation qui rappelle "un moi qui répondant à un vous implique toujours une relation" (180). La perspective relationnelle est fondamentale pour Weil, en tant que femme et mystique, consciente que «l’essentiel n’est pas quelque chose que nous pouvons conquérir ou posséder de notre propre force; nous ne pouvons que le recevoir "(184). L'actualité de la pensée de Weil est absolument urgente dans le monde contemporain, où l'absence de "toute ouverture au bien transcendant" (185) nous empêche de trouver des solutions.
L’intervention de Stefania Tarantino, Des espaces publics inédits ouverts par la pensée de Simone Weil, reconstruit l’influence fondamentale exercée par la pensée de Weil sur le mouvement féministe italien, au-delà de l’affirmation péremptoire du philosophe de "ne pas être féministe" (187). Pour Tarantino, la nécessité pour Weil de s'affranchir de l'identité de genre est motivée par l'ère historique, dans laquelle son statut de femme l'aurait définie comme "un sujet subordonné, où la vertu maximale a toujours consisté à être aussi attrayante que jamais". (187). Comme le rappelle Tarantino, de nombreux thèmes weiliens ont attiré l'attention du mouvement féministe, tout d'abord la condition de départ, c'est-à-dire un "caractère étranger intime" inhérent à la subjectivité “(185). Le choix de l'impersonnalité, évident dans l'écriture, devient un lieu de rencontre avec le moindre, où "il apparaît dans la réalité d'un infiniment petit qui s'incarne de temps à autre dans l'infini infini de l'amour" (189). La compréhension de la réalité pousse Weil à la demande d’une union symbolique, ce qui est peut-être le point le plus perturbant de sa proposition, car c’est précisément la dimension symbolique qui provoque un véritable changement «car elle affecte pleinement l’imagination à travers le langage et les actions». et parce qu’il fait référence à un sens encore inexploré pour la politique "(196). L'affirmation de la voie symbolique exclut la dimension sociale, marquée par la quantité, pour choisir l'infiniment petit, qui seul permet de procéder en verticale.
La contribution de Gabriella Caramore, "Donner de la réalité aux êtres et aux choses": un projet de justice, clôture la deuxième partie du volume. Caramore, correctement, part d’une réflexion sur la nécessité de revenir à une vision globale et plus riche des énormes implications de la pensée weilienne, qui ne se limitent pas à quelques aspects spirituels, aussi importants soient-ils. Les derniers textes nous permettent de comprendre, en fait, "l’interaction étroite entre la dimension spirituelle et celle de la vie concrète, la pensée du divin et celle de la réalité du monde" (203). Le monde - comme Weil l'a toujours dit - est l'objet de sa pensée. Weil réaffirme et montre comment «matériel» et «spirituel» ont toujours été liés, et qu'il est impossible d'avancer séparément. "Penser, agir ne peut être que des activités" globales ", même s'il est parfois nécessaire de se pencher sur le fragment, le détail, l'objet de notre étude [...] avec un effort d'attention capable d'attendre l'inattendu révélation “(204). Caramore souligne comment, dans les derniers écrits, nous menons une lutte constante contre l'imagination, le divertissement de la pensée, toujours tentée par l'évitement de la réalité. La dimension du rêve weilienne est bien combleuse d’images, qui nous berce d’ajustements pacifiques, qui ne veut pas que nous voyions et touchions la réalité souvent douloureuse des hommes et des choses. En ce sens, la notion d'obligation rappelle la réalité de l'humain, de son être nécessiteux. Certes, "pour donner une réalité aux êtres [...], nous devons repenser les catégories de la politique, de l'anthropologie et, bien entendu, de la religion" (207-208); il est donc nécessaire un engagement et une attention qui rendent le projet extrêmement difficile à mettre en œuvre, mais néanmoins nécessaire, de même que le bien est nécessaire.
Le volume se termine par une annexe, un précieux témoignage de Gabriella Fiori, Histoire d’une amitié, l’un des premiers "vulgarisateurs" de la pensée de Weil. Fiori raconte sa rencontre avec une pensée et un personnage qui l’auraient accompagnée tout au long de sa vie, au nom d’une amitié intemporelle. Une relation intellectuelle, mais aussi émotionnelle, qui conduit à la publication de la biographie connue et à la nécessité d’enquêter sur sa vie et de rencontrer ses témoins. Fiori nous livre de nombreux souvenirs et anecdotes, signe évident de la passion nécessaire pour assurer une compréhension profonde de la pensée weilienne. L’essai se termine avec le souvenir d’Iris Murdoch, philosophe et romancier, si proche à bien des égards de la pensée de Weil et tout aussi attentif à la réalité du monde.